Reminiscence 2
– Non, c’était pas ça. ça n’était pas un nounours, et d’une, c’était une sorte de grand chien, genre porte-manteau, l’air trés con, un objet foncièrement laid, en fait. Un hybride entre quelque chose d’utile et un jouet, une chose à vocation pratique trés affirmée, chose à laquelle on avait quand même essayé de conférer un aspect ludique pour plaire aux gosses. En y réfléchissant, ça nie toutes les caractéristiques d’une peluche. Un gosse pouvait rien en faire, de ce truc, ni le prendre dans ses bras, ni se coller contre, ni dormir avec, rien.
– ça t’a frustré de ne pas pouvoir le prendre dans tes bras ?
– Mais non, t’es con, je te dis que c’était laid au possible, j’en n’avais rien à battre. Même à l’époque. Et ces putains de poils rouges et rêches, ça devait être un calvaire au toucher. Rien d’agréable. C’était plutôt décoratif.
– Option galerie des horreurs.
– Un peu. T’as fait les puces du design, gros con, tu sais quelles horreurs on devait s’appuyer étant gosse. D’ailleurs voir tous ces couillons racheter les bibelots vintage pour des fortunes, ça me donne des envies de meurtre.
– Bon, mais ces poils gluants ?
– Dans le frigo.
– Mmh.
– Dans la boîte à gants, aussi.
– La boîte à gants ?
– Tu crois que tu as l’air fin à répéter ce que je te dis comme ça ? Oui la boîte à gants. Mon reup avait une R16, verte. Aujourd’hui ça doit être collector des tires pareilles, à l’époque j’imagine que c’était juste économique. Hideux, et économique. Monstrueux, mais, économique. Bref il avait une R16 verte, je me souviens du bruit du moteur qui ratatouille, l’exemple parfait d’une mécanique qui donne l’impression de peiner dès qu’elle sort de l’usine. Le nom lui-même sonnait comme inachevé, « R16 », on sent l’outil en travaux. Et le designer de l’époque devait pas être trés net non plus, c’était presqu’aussi laid que le porte-manteau en poils rouges et rêches. Y avait une thématique sous-jacente, à l’époque, j’en suis sûr.
– Et y avait des poils ?
– Quelle clairvoyance. Oui : dans la boîte à gants. Tu ouvrais la boîte à gants, une petite veilleuse s’allumait, mais elle était masquée par toute une toison longue, rouge et rêche, de poils en bataille. Du coup ça projetait une petite lueur rougeâtre et spectrale. Touffue. Une diode dans un amas de fougères. Avec une odeur bizarre, de la mousse synthétique. J’imagine qu’on ne peut pas injecter d’amiante dans des fibres, fussent-elles rouges et rêches, mais c’est l’impression qui en reste : en respirant ces poils tu avais l’impression de risquer d’avaler des spores, tu risquais un empoisonnement, une contamination à la vieillesse. Rien d’engageant. Une odeur rance. Note bien que je ne passais pas mes après-midis le nez dans la boîte à gants, j’aimais pas cette boîte à gants. La présence d’une toison rouge et rêche qui sentait la mamie ne m’inspirait pas, j’y voyais une anomalie, un truc contre-nature, presque une menace. Rien de sain. Il n’y avait rien d’autre d’ailleurs dans cette boîte à gants. La mienne est gavée de contredenses, de vieux flyers, de cassettes chrome niquées, y a même une fléchette et une langue de belle-mère et des jetons de douche, on y trouve une carte de Bretagne et un disque horodateur…
– un disque horodateur ? T’es routier ou fétichiste ?
– C’est pour me rappeler de la R16, ducon. Oui, y a encore des bleds où tu as besoin de ça. Je m’en servirai probablement plus jamais de ma vie, mais quelque part ça froisserait mon ego de prendre une prune dans un bled paumé parce que j’aurai lourdé mon disque horodateur.
– Vu les contredenses qui s’entassent dans ta boîte à gants, je dis que c’est du fétichisme.
– Bon, va chier. Toujours est-il que dans la boîte à gants de la R16, y avait rien de tout ça, pas de clefs, pas de grattoir contre le gel, pas de lampe de poche, pas de monnaie, pas de carte routière ni de guide des essences végétales, pas de laisse de chien, pas de fiole de visine, rien de ce qu’on peut un jour trouver dans une boîte à gants, je sais pas, pas de sachet de coke ni même de flingue, tiens – dans la R16 de mon reup, tu penses – y avait rien, la boîte était encombrée par la toison rouge et rêche. En fait je crois que tu ne pouvais rien y mettre, c’était dense. Et en ce qui me concerne, j’aurais paniqué à l’idée de devoir y entreposer quelque chose. L’aspect pratique du receptacle disparaît complètement, c’était tellement pas naturel que j’étais persuadé qu’y placer un objet revenait à l’expédier dans une autre dimension. Ou à le faire vieillir outrageusement, façon Ubik. Les poils rouges et rêches risquaient de s’y loger définitivement. Et de contaminer ledit objet, par le fait.
– Par le fait.
– Donc j’en trouvais aussi dans la boîte à gants. Quelques fois, parce que je ne me souviens de l’avoir vue ouverte que quelques fois. Mais j’avais ça en horreur. Une zone rouge et rêche pas saine.