On arrive au hameau par un sinueux sentier forestier. Les petites maisons sont entassées autour d’une, choquante, impie, cahute sur pilotis.
Mardi. On émerge de l’abri de fortune et on se rassemble dans la prairie luminescente. Cueillette et danses variées sont au programme. Nus.
Sur la table : une boite, noire. Dans la boite : cinq millions de nanomachines plutôt agressives. A la porte, les miliciens flous. J’hésite.
Depuis quelques jours la Réalité s’obstinait à dépasser allègrement les limites de la fiction, coupant salement la chique du narrateur, nu.
Pour passer le temps, les tireurs observaient les manigances des soldats arméniens dans la ville basse. Trafic d’organes et poésie lyrique.
Pour tromper l’ennui, inévitable, nous avions décidé de ne plus nous réfugier dans les abris pendant les bombardements. Ça marche trop bien.
Mina invente cent recettes modernes afin de se préparer une apocalypse implacablement ludique. Dans le bunker voisin, on compte les slips.
Les mouettes ne provoquaient qu’un petit désagrément. Les tirs de mortiers étaient vraiment plus ennuyeux que le guano, les hurlements gras.
On se servait d’une simple TR-808 pour déminer la plage. Et de puissants amplificateurs. Il fallait aussi fermer les yeux et y croire, fort.
J’attends ton retour, dans ma tour purpurine, mon regard vers la plaine, nulle trace de ton sublime engin, seulement le soleil qui poudroie.
Rave dans les souterrains, les adolescents, les vieillards, se pressent dans le noir. Les mains se touchent, les lèvres s’effleurent. Ciel !
Le canal gelé servait de terrain de chasse à une bande de gamins kantiens. Gare aux chats et aux souris de passage. Les chiens, ça passait.
Sur la scène, violemment éprouvée par les bombardements, Carver et l’homme à la tête de chat s’agitent, épilepsie. Épiphanie dans le public.
Quelques secondes après la Fin, dans le désert vitrifié, seul se tient le narrateur. Pour une fois, les mots lui manquent…
Mina, lasse, assise dans la douche exiguë, se laisse aller à la nostalgie. L’eau, pas très chaude, déborde tranquillement. Dehors, il neige.
La nuit. Le feu.
La cave, encore, sous l’usine au bord du canal, le béton partout, le groupe électrogène dans un coin, les punks qui s’agitent, nous enlacés.
Mina utilisait un logiciel militaire chinois pour produire d’élégantes aquarelles de la citadelle. Carver préférait les pinceaux humides.
Igor, en mini short, cuir naturel, se décide enfin. En ville, on ne parle que de ça. Nos troupes, enfin, au nord, hilares, se convertissent.
Deux longues secousses ce matin. Peu de chance que le monastère bascule dans la mer mais nous suivions pourtant les consignes napolitaines.
Vaincus par l’excellente qualité, la gratuité et l’abondance de biens de consommation culturels, les révolutionnaires somnolent, abusés.
Igor fredonne le générique de Maraboud’ficelle, très doucement. Mina serre les poings. Carver verse deux larmes sur un bout d’enfance perdu.
Le jour de la fin du monde, l’aube était arrivée calmement, comme à son habitude. Tout était normal, partout. Puis, plus rien.
Funérailles : on enterre les armes, les munitions. On repeint aussi le bunker en jaune pâle. Sur la façade Est, Mina installe les explosifs.
Depuis les collines, on pouvait apercevoir la mer.
Et toujours, le drapeau noir.
Dans une boîte de fer, sous le plancher, une multitude de fiches cartonnées, de courts messages. Sur la boîte : « Fragments d’apocalypses ».
Mina, Igor, luddites.
On déverrouille la lourde porte métallique. L’entrée est solennelle, personne ne moufte. On se débarrasse des téléphones. Sublime légèreté.
La citadelle était reliée à l’île par une mince bande de terre assujettie aux marées. On utilisait ensuite un vieux monte-charge effrayant.
La tournée se termine, Minnesota, plutôt un succès. Le groupe est dans la salle de bain. Allongé sur le lit, je compte le fric. Détonation.
Le bunker. Puis Berlin. On verra bien. Puis Paris. Septembre enfin.
L’homme à la tête de chat, au piano, aimait nous interpréter d’antiques chansons pop d’avant la guerre. Carver l’accompagnait au triangle.
Déterminer la position du nord magnétique. Mettre trois pointes en acier dans une bourse en cuir de bouc. Lancer la bourse vers le nord. Nu.
On trouvait dans les collines de nombreuses villas à l’abandon, souvent vidées, nues. Elles nous procuraient de brefs, confortables refuges.
Cinq amis se disputent la place dans la nacelle. Fin de leur amitié, début de la fusillade. Carver profite du chaos, et de la montgolfière.
Deuil. Mina accélère. Le véhicule racé tangue dangereusement. Igor termine la vodka. Carver canarde les poursuivants, ivre. Enterrement ok.
Collées sous la douche, tiède, les filles complotent. Le son de l’eau trouble astucieusement les micros cachés. Les orteils se touchent. Si.
La réserve : plus de piles, plus de munitions, plus d’eau, juste des boites de Lego, un gros stock, et sept mimes muets. On ferme la porte.
Et le matin, d’arriver enfin, la lumière ; et mains nouées, les chanceux, de cesser leurs méditations troglodytes, émerger, renaitre, enfin.
Igor, Carver, enlacés. Sensation d’étouffer. Mina chantonne. La nature mutante est d’un rouge orangé. Nos amis découvrent 7 nouvelles fins.
Recueillie par les prêtresses du Grand Matriarcat Sibérien Erratique, Mina se laissait bercer, son sang renouvelé, enfin. Et Igor, au bagne.
Igor, Carver, enlacés, déchiffrent les indications gribouillées sur les boîtes de haricots chiliens trouvées lors de l’ouverture du tombeau.
La piscine vide, moussue, où grouillent crapauds, moustiques. Igor, en scaphandre, plastique blanc, contemple les champignons, dans le ciel.
Je colle l’oreille contre le mur, j’entends les gémissement, les murmures, les incantations. Puis viennent les démons, les sacrifices. Top !
La vie, sur terre, est sur le point de disparaitre. Mais nos amis, goguenards, ne perdent pas le sens de l’humour. La lumière, trop vive.
Arriver en haut de la côte, cracher sérieusement nos poumons. Voir nos poursuivants qui se rapprochent. Pousser vers eux de gros cailloux.
Retour au bunker. Sous le t-shirt, scotch noir en croix sur les tétons. Boire de l’eau. Écouter les bombardements, lointains. Tout est bien.
Nos petits jeux, innocents, ne provoquaient que morts et désolation. Mon nouveau vernis, « tumeur maligne », faisait sensation dans la région.
L’architecture néo napolitaine de l’île que les miliciens danois occupaient ne cessait de troubler leurs amants siciliens. Ce soir : boxe.
Quelques minutes avant la fin, l’ambiance est plutôt détendue, blagueuse et amicale. S’effleurer le bout des doigts. Dehors, les incendies.
Dans les débris de la ville décapitée, une boite en acier nu. Au fond de la boîte, sous la sciure, l’espoir et un petit dragon en plastique.
La tête me tourne, je zieute alentour, hésite, la vallée ou le campement des hooligans mutants ? Les cyclopes font un excellent vin naturel.
La finale du cent mètres, les concurrents, étranges, se bousculent sur la ligne jaune. Le juge lève son pistolet. Frisson dans les tribunes.
Dans les ruines, les mêmes filles, plus tard. Des fleurs dans les cheveux, elles dansent. Les yeux pétillent, la musique est vraiment extra.
Igor et Carver, bord de mer, polluée, métaux lourds et poissons morts. Coucher de soleil sur champignon atomique. S’enlacer pour oublier.
Dans la salle des réformateurs, on discutait âprement de l’éventuelle nudité des touristes saouls, lors de la visite pontificale. Confusion.
Passer la nuit, blottis et nus, tous, sous la couette rapiécée. Conserver la chaleur, observer les ombres sur le mur. Échanger des sourires.
Le bunker. On se repasse encore les mêmes vieux serials : « Hips, dans ta gueule mon batarang, joker de mes deux tentacules, hips. »
L’Empire n’a jamais pris fin.
Sur la plage, une cloche massive, à demie enfouie. Les restes du presbytère. Nos vélos.
Mina et les enfants soldats jouent dans les décombres du stade bombardé. Ils s’échangent des munitions, tirent au fusil, se font des câlins.
Sur la crosse du fusil de Mina, 87 encoches. Carver n’a pas de fusil. Son arme : son charme. Igor, déjà saoul, confectionne des moscow mule.
La télé bloquée sur du télé-achat d’avant la Fin. Les miliciens passionnés s’imaginent profiter de ces biens, plutôt agréablement vendus.
Allongés dans l’herbe rase, brûlée, on se frôle, souriants, nos doigts lumineux s’enlacent, se crochent, nos peaux irradiées se collent.
Avant la guerre, l’utopie, le chaos, l’entropie et tout le gros bordel d’après, Mina était libraire, Igor, épicier bio et Carver, une fille.
Au bord de la piste de danse, j’hésite fébrilement. Un slow, je m’avance vers elle, et bredouille une demande inaudible : sourire, et rejet.
La cafétéria bondée, les brumes du sommeil, un thé tiède, le débat mortel du matin qui agite déjà l’abri 813 : la peste ou l’alcool de rat ?
Pour quitter le bunker : pressez le bouton rouge, énorme, puis attendez la fin des explosions, puis celle de l’hiver nucléaire, puis sortez.
Les siciliens occupaient le hameau depuis 6 semaines. Vote à l’unanimité pour chaque décision importante. Duels acrobatiques pour le reste.
Depuis deux heures Mina démonte un vieil obus. On essaie de l’emmener danser, au village, mais impossible de la décontenancer. Elle assure.
Dans la pénombre de la chambre numéro huit, regarder Mina dormir, mes mains tremblent, je pose le livre sur la table, je sors. C’est l’aube.
Sur la table basse en bois sombre, la vieille boîte à biscuits, une centaine de petits sachets. La poudre ne va pas manquer ce soir. Mais.
Mina, Igor, Carver s’embrassent. L’homme à la tête de chat renverse sa coupe sur le mange disque. La fête est annulée. Dehors, on se bat.
Depuis la forteresse ensevelie, Mina surveillait les miliciens ivres depuis deux jours déjà. L’aube, le village désert, la neige, un renard.
Mina, Carver et l’homme à la tête de chat, remontent le flux incessant des réfugiés irradiés, vers le centre, vers la lumière brûlante, nus.
Trois oranges, notre seul bien. Autour du bunker, les prédateurs, peu amateurs de fruits, ne manquent pas. On reporte le départ. Pourtant.
Mina, cheveux rasés, hautes chaussures militaires, jumpsuit noire, assure le spectacle. Ses bras moulinent, hypnotiques. Igor, nu, sanglote.
Après la première, et brêve, réunion, la cellule s’est accordé sur un point, le drapeau : il sera noir. Noir ça va avec tout. Mina se marre.
Presque plus rien à manger, de l’eau à volonté, neuf cent gélules d’extasy. Nos trois compères ne s’imaginaient pas survivre bien longtemps.
Sous le camion, garé devant la gare en ruine, je fixe le mécanisme explosif, le détonateur à distance, les tracts. Mes mains tremblent trop.
Mina, Carver et Igor, au sex-shop, achètent absolument n’importe quoi. C’est désolant mais aussi plutôt marrant. La vendeuse, hilare, nue.
Mardi matin, l’épicerie, on arrange les cagettes dans l’espace utilisable. Les premiers clients arrivent rapidement, les navets, ça marche.
Mina nettoie sa carabine, astique sa lunette. Relire Solanas. Prendre de la hauteur. Tenir compte du vent, retenir sa respiration. Sourire.
Dans le ciel, au dessus du canal fétide, de noirs cigares propagent la parole sacrée. Sur les rives, on s’essaie au jokari, nus, ivres.
En contrebas, dans les tranchées inondées, Igor et Carver construisent une étrange machine à vapeur. Miliciens, résistants, méditent, ivres.
Le soleil sur ta nuque, je m’approche, le capturer, échec. L’ombre sur ta hanche, roder, bondir, sans résultat. Un tigre dans le salon, hey.
Au début de l’été, nous mangions, en salade, de longues plantes rouges, « Artères de Jupiter », c’était raisonnablement infect, et triste.
On se retrouvait dans le hall pour comparer nos expériences. Puis, après le tirage au sort, on remontait dans nos chambres. Changer de sexe.
Dehors, la pluie radioactive, grise, épaisse. Dedans, nous, notre affection mutuelle, nos corps qui se touchent. Sourires.
Les eaux du golfe de Naples étaient en permanence surveillées par l’incessant ballet des dirigeables argentins libertaires. On nage en paix.
Je ne doute pas que tu sois quelqu’un de raisonnable. Je ne doute pas de tes bonnes intentions. Je ne doute pas de ta réalité. Presque pas.
L’utopie anarchiste bordelaise se termine brusquement, un mardi. Quelques explosions, une épidémie soudaine, l’avènement du dictateur ivre.
La 7ème compagnie de paras zaïrois nous dépasse chevauchant de lourdes motos japonaises. Le petit dernier se penche : coeur avec les doigts.
Quelques minutes avant de débuter ce nouveau projet, je me posais foule de questions métaphysiques. Dans la salle de classe : grand silence.
Mina, Igor et Carver, dans le salon, observent le géant, ivre, qui repose sur le canapé, défoncé. À la radio, Electrelane. Ici, il est midi.
Nos trois compères habituels et l’homme à la tête de chat (sérieusement c’est quoi comme nom ça) décident d’envahir le sud du coin cuisine.
Spoiler : à la fin on va tous mourir.
Dehors, les anciens dieux foulent la terre. Par la fenêtre, les hurlements des premiers sacrifiés. Et, Carver, Mina, ivres, nus, attendent.
Assis en cercle, dans l’herbe verte, nos yeux se croisent, nos orteils se frôlent, nos rires, nos cris. Le soleil sur nos peaux, si pâles.